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Blogue d'Alain Favaletto
16 juillet 2015

La fin des dialectes ?

Dans un article paru dans le Spiegel online le 26 avril 2015 (« In Deutschland sterben die Dialekte aus »), il est rappelé qu´en Allemagne, comme partout en Europe, les particularismes linguistiques régionaux disparaissent. Certains de nos voisins allemands s’en inquiètent, pour ce qui concerne bien sûr les dialectes germaniques survivant péniblement en Allemagne, mais la plupart s’en moque éperdument. C’est bien dommage.

Bien entendu si l’on considère la standardisation des modes de vie, des modes de penser, des modes d’expression comme des points positifs de la mondialisation, on ne peut que se réjouir de la disparition des aspérités culturelles entravant la production et la consommation de masse.

Telle n’est pas notre position.

La situation des parlers linguistiques, en France, est identique à celle des dialectes germaniques en Allemagne. Les langues régionales meurent doucement. A leur chevet, quelques docteurs à l’œil humide. Cependant, la dissemblance notable avec l’Allemagne, ou l’Italie, est que nos langues régionales ne meurent pas dans l’indifférence. Elles meurent dans le regret, parfois dans la rage. L’alémanique, par exemple, n’est plus parlé aujourd’hui que par des personnes âgées du Bade-Wurtemberg ou bien alors dans des coins très éloignés des centres urbains, par ceux que les Allemands eux-mêmes appellent des « Hinterwäldler », des gens qui viennent de derrière la forêt. Là-bas, personne ne s’en émeut. C’est bien dommage.

La raison principale est que la langue qui s’est progressivement substituée au dialecte régional est une langue qui lui est apparentée, soit le Hochdeutsch. Ainsi en Allemagne, les dialectes meurent dans l’indifférence. La situation est identique en Italie. Agonie des langues régionales dans l’indifférence générale.

En France, la situation est un peu différente, du moins dans les marches du pays. Ma grand’mère maternelle, petite Touloise aux yeux cérulés, née au début du 20ème siècle, grosseyait encore quelques mots de cette langue d’oïl existant jusqu’aux années 30 de la frontière belge aux hautes vallées vosgiennes. La disparition de ces parlers romans au profit du français standard n’a pas fait plus de bruit que la disparition des dialectes germaniques en Allemagne, adossés qu’ils sont au Hochdeutsch collatéral. Un parler sympathique, immémorial et longtemps usuel laissait place à son cousin littéraire, le français, comme les dialectes germaniques ont laissé place à l’allemand.

Cependant, culturellement il y a déperdition. C’est pour cette raison que la pratique de l’alsacien doit être soutenue. Elle doit l’être, non pour que les Alsaciens puissent apprendre plus facilement l’allemand de façon à pouvoir ensuite s’expatrier en Suisse ou au Pays de Bade, faute de pouvoir trouver du travail chez eux, comme nous l’entendons régulièrement dans la bouche de nos politiciens locaux, impuissants qu’ils sont à redresser la situation économique. La pratique de l’alsacien doit être soutenue parce que ce qui existe depuis longtemps, et qui n’a jamais été contesté comme nocif, doit être préservé. C’est une démarche conservatoire. L’alsacien étant un enrichissement culturel, relié à un enracinement profond, il revêt une légitimité incontestable. Il ne s’agit pas d’en faire une langue obligatoire ou d’imaginer qu’il prenne la place d’une langue universelle telle que le français. Il s’agit de le sauver avant qu’il ne disparaisse. La vérité exige de dire la raison pour laquelle il faut qu’il survive. Cette raison est liée à l’identité collective. Horresco referens ! Si nous soutenons l’alsacien, c’est parce qu’il est une part importante de l’identité régionale. Les gens de l’autre monde, du monde virtuel auquel ils font mine de croire, gauchisants et libéraux, n’encouragent sa pratique que pour des raisons de défilement. Incapables de recréer les conditions du plein-emploi dans les territoires dont ils ont la charge, ils voient dans l’exil forcé de nos jeunes vers l’Est et la Suisse un frein à l’inexorable montée du chômage. Au contraire notre attachement à l’alsacien n’est pas économique. Il est ontologique, lié à l’être et à sa liberté de conservation. C’est la conception qu’intuitivement le peuple d’Alsace a de sa langue. Aucun paysan du Sundgau ou sylviculteur de l’Outre-forêt n’a jamais prétendu qu’il est bon de conserver la langue de ses ancêtres au motif de trouver du travail à l’étranger. Cette incroyable galéjade doit être renvoyée en boomerang verbal à tous nos décideurs UMP locaux qui offrent à nos jeunes la douce perspective de devoir migrer définitivement après leurs études. Qu’ils créent les conditions de l’emploi en Alsace. C’est l’exigence première de leur mandat. Trente ans qu’ils nous saoulent de verbe et de cajoleries pour finalement devoir constater que rien ne change malgré leurs slogans électoraux « Le changement c’est maintenant » (François Hollande en 2012), « Le changement c’est nous » (Nicolas Sarkozy en 2015).

Ainsi les dialectes disparaissent partout en Europe, même en Allemagne. La seule méthode pour y remédier est la subvention des activités pédagogiques et culturelles. L’OLCA,[1] à une échelle très réduite, s’y consacre. Nous y avons participé personnellement en 2010 en montant des spectacles d’opérette trilingues (alsacien, français, allemand)[2] Mais ceci est évidemment insuffisant. La langue se transmet essentiellement par les parents. Lorsque les parents refusent ou rechignent à transmettre leur langue, celle-ci disparaît. C’est à ce niveau qu’il faut agir. Il n’y a aucun sens à chercher des boucs émissaires lointains (« c’est la faute à Paris ») même si cela déculpabilise ceux qui ont failli. Rendre "Paris" responsable est d´une stupidité sans nom (lorsqu’il ne s’agit pas de mauvaise foi délibérée et d’incitation à la haine), mauvaise foi qui serait équivalente à celle de rendre Berlin responsable de la perte de l’alémanique ou Londres de l’amoindrissement du gallois. De la même manière s’imaginer que la ratification de la « Charte des Langues Régionales (l’alsacien par exemple) et Minoritaires » (le turc, l’arabe dialectal, le romani chib, etc…) rendrait vie à l’alsacien est d’une naïveté impressionnante ou relève de la manipulation électorale. Cette ratification mettrait au même niveau le parler régional ancestral alsacien avec le turc ou l’arabe dialectal, langues évidemment hautement estimables mais d’implantation récente et plutôt expansives que menacées. En revanche, cette charte qui, sous l’enveloppe attractive de la diversité et de la protection du petit, a pour objectif de briser les ultimes équilibres des Etats en Europe, au profit d’un modèle fédéral bruxellois dont les avantages sont de moins en moins visibles, cette charte renoue avec une logique ethnique qui n’a rien à voir avec notre Droit. La logique d’une identité ethnique est celle de l’Allemagne. Elle est grosse de débordements de toute sorte, comme l’histoire l’a bien illustré, de la guerre des Duchés (1ère guerre germano-danoise en 1848) aux Sudètes (1938). Contre l’identité ethnique, nous proposons l’identité éthique, celle qui respecte ce qui existe depuis longtemps, qui tire de l’histoire sa légitimité mais qui tient du contrat et du vouloir-vivre ensemble de Renan, sans emprisonner l’individu dans un carcan ethno-linguistique étouffant. Le cadre actuelle d’une France unitaire et largement décentralisée permettrait le soutien à la pratique de l’alsacien. Il suffirait que ceux qui depuis longtemps tiennent le Conseil régional le veuillent enfin et ne se défaussent plus. On se souvient du mot de Napoléon, répondant à quelque général se plaignant d’entendre le Colmarien Rapp donner ses ordres en alsacien : « Que m’importe qu’il parle allemand pourvu qu’il sabre français ». On voit donc bien que les obstacles ne sont pas dans un excès de centralisation - quoi de plus centralisé que la France du 1er Empire ? - mais dans les mentalités locales. La langue régionale est comme cette dame blanche du paravent de Charles Spindler, par ailleurs grand patriote français : elle attend et espère la rencontre de fidèles visiteurs.

Alain Favaletto (Juillet 2015)



[1]             Office pour la Langue et la Culture d’Alsace.

[2]             Notamment dans le cadre du festival Summerlied mais aussi en Allemagne.

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Commentaires
R
Pour ce qui est de l'Alsace il faut bien dire que l'intermezzo hitlérien est en grande partie responsable de la francisation de l'Alsace qui autrement aurait certainement gardé la force de maintenir sa culture germanique et n'aurait pas capitulé en l'espace de deux générations. Les familles où les petits enfants ne sont plus capables de parler avec leurs grands-parents ne sont pas rares en Alsace. <br /> <br /> <br /> <br /> Il faut quand même noter que l'épisode nazi a provoqué chez nos voisins suisses le phénomène contraire. Pour se démarquer de l'Allemagne ils ont après la guerre remis les dialectes locaux à la mode ce qui fait que pour les suisses romans qui sont bien contraints d'apprendre le Hochdeutsch regarder la T`V ou écouter la radio n'est pas une sinécure.
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